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Recension

couverture

Kalamba Nsapo
Les grands courants de la théologie du monde noir
(Afrique et Diaspora)
, Imhotep, 2013.

« Penseurs sont gens qui re-pensent et qui pensent que ce qui fut pensé ne fut jamais assez pensé. » Paul Valéry

Cette pensée peut être appliquée à Kalamba Nsapo qui, avec son dernier ouvrage met à la disposition des lecteurs une réflexion destinée à éveiller les consciences. Ce livre que j’ai le plaisir de présenter se veut une réponse au vœu de Cheik Anta Diop : guérir l’Afrique de la crise épistémologique dont elle souffre aujourd’hui (pp. 11-12). Comme l’indique son titre, il parle des grands courants de la théologie du monde noir. Ce dernier comprend aussi bien l’Afrique que la diaspora.

L’ouvrage de Kalamba Nsapo est subdivisé en trois chapitres, inégalement répartis, qui cadrent avec son titre. Chaque chapitre, en effet, est représentatif d’un courant de la théologie du monde noir. Le premier chapitre traite du paradigme égypto-nubien (pp. 13-34). Le second chapitre, le plus court, s’intéresse au paradigme arabo-nègre (pp. 35-36). Le troisième et dernier chapitre, le plus long, expose le paradigme judéo-chrétien (pp. 37-102). Pour chaque chapitre, l’auteur présente les  figures représentatives et dégage leurs orientations fondamentales.

À lire attentivement le livre, on constate que le titre ne dit pas assez sur sa visée. Celle-ci est toute simple : mettre à jour la vérité volontairement voilée de l’Égypte comme berceau de toutes les sciences, y compris la science théologique. C’est pourquoi l’auteur s’emploie à  « souligner toute l’importance d’un retour à l’Égypte ancienne comme condition d’édification des sciences modernes et de la redynamisation de la culture africaine ». Comment prétendre maitriser son domaine de recherche si l’on en méconnaît l’origine et  si l’on en ignore l’histoire ? C’est  donc à la réécriture de l’histoire qu’invite ce livre. Cette réécriture implique forcément la reconsidération ou revisitation des vérités communément admises. Kalamba Nsapo ne se contente pas d’écrire l’histoire de la théologie du monde noir. Il la met en œuvre. Il ne s’agit pas seulement de l’histoire de la théologie – certes, c’est elle qui est avant tout visée dans ce livre –, mais aussi et surtout de l’histoire tout court, c’est-à-dire de l’histoire du monde. L’importance d’une réécriture n’est que justice rendue à la destinée humaine de chaque peuple. Ce livre rend à chaque peuple sa dignité d’acteur dans l’histoire. Et, théologiquement parlant, il confirme, à sa manière, qu’il n’existe pas de théologie en dehors de son inscription dans l’histoire et dans la culture.
Le rétablissement de la vérité historique telle que Kalamba Nsapo s’engage à le faire conjure les plaies du fantasme de l’idéologie de la domination et de ses avatars. C’est là tout l’enjeu des paradigmes égypto-nubien (premier chapitre) et arabo-nègre (deuxième chapitre) de ce livre qui, par ailleurs,  offre d’autres grilles de lecture de la vie et même de la Bible que celles officielles, c’est-à-dire catholiques, romaines, protestantes… Cette offre laisse clairement percevoir que, pour l’auteur, la théologie n’est nullement réductible à sa configuration judéo-chrétienne. Elle s’inscrit dans le vaste champ de l’histoire du monde qui est le lieu de la manifestation de Dieu.

Fort de son analyse à la fois historique et critique, Kalamba Nsapo espère créer les conditions du renouvellement de la science théologique. Avec cette publication, Kalamba Nsapo livre ce qui, jusqu’ici, manquait à la théologie dans le monde noir. Il est maintenant possible de voir jusqu’à quel point l’histoire de la théologie dans le monde noir déborde largement l’histoire de la théologie africaine d’obédience judéo-chrétienne. Celle-là englobe celle-ci. À vrai dire, il ne s’agit pas seulement de la théologie africaine, mais de la théologie tout court. La théologie Kémite (pp. 13-16) montre aisément que le monothéisme n’est nullement le propre du judéo-christianisme. Au fait, l’auteur n’écrit pas seulement l’histoire de la théologie dans le monde noir, mais il la met aux prises avec ses différents paradigmes, tendances, méthodes, thèmes et concepts. Et, lorsqu’il présente quelques théologiens africains, il a l’ambition, évidemment bien modeste, de mettre à la disposition des générations futures des atouts nécessaires pour un travail de qualité contribuant ainsi à ouvrir de nouvelles pistes à la recherche historique et théologique.

Le mérite de ce livre est comme l’envers de la médaille. Kalamba Nsapo affirme que, pour écrire ce livre, il s’est appuyé sur des textes et documents fiables. Mais il aurait été intéressant d’en faire usage pour, éviter certaines affirmations trop générales sans preuve ni références vérifiables. Il y a plus. L’auteur ne justifie aucunement en quoi à ses yeux, les auteurs dont il présente la pensée sont des figures représentatives des tendances qu’il a répertoriées. Le thème traité dans ce livre est, d’après l’auteur, important et fondamental. L’on peut dès lors se demander si deux pages suffisent pour présenter aux lecteurs le paradigme arabo-nègre (pp. 35-36) ? Une simple indication, avec promesse d’un développement ultérieur fouillé, n’aurait-il pas été tout à l’honneur de l’auteur du livre ? Au sujet du paradigme judéo-chrétien, il est quelque peu regrettable que l’auteur ne dise pas un mot sur les théologies féministes africaines. Le long propos sur l’ecclésiologie et la mise en veilleuse d’autres orientations, notamment la liturgie, le droit canon… attestent la limite de la présentation de ce paradigme. Parlant ici des paradigmes, deux textes pourraient compléter l’ouvrage de Kalamba Nsapo : André Kabasele, Mukenge, « La théologie africaine revisitée. Entre l’impasse méthodologique et la recherche de nouvelles voies », Telema n° 121-122, septembre 2005, 31-46 et Ntima Nkanza, « Théologies africaines à l’ère de la pluralité : une révision des paradigmes classiques ? », Telema n° 121-122, septembre 2005, 47-61.

Toutes ces remarques ne dénient pas la valeur et le mérite de cet ouvrage. Elles en appellent, au regard de l’intérêt qu’il suscite, à une seconde édition revue, corrigée et augmentée. Ce qui rejoindrait  le vœu de l’ouvrage : ouvrir, pour les générations ultérieures, des voies d’avenir d’un travail théologique qui réponde aux questions, aspirations et attentes du peuple concerné.

Carlos Remy Kalonji Nkokesha
Université catholique de Louvain (Belgique)